En novembre dernier, le Prix Goncourt causait de la Nation en ces termes : « Je ne me sens aucun devoir à l’égard de la France. Pour moi, elle est un hôtel, rien de plus ». Chez Drouant, tant de subversive frivolité fit certainement pouffer. A l’Intérieur comme à l’Identité Nationale, on observa le plus bienveillant des silences à l’endroit d’un exilé fiscal prestigieux, à l’instar du réceptionniste encaissant les extravagances de sa meilleure clientèle. Pour Michel Houellebecq, jamais l’établissement national n’affichera complet.
Simultanément, à même le territoire français, nombre d’exilés connurent traitement autrement plus féroce. Discours présidentiels transgressifs, officialisation de la « présomption de culpabilité » et nomination de préfets « grands flics » entraînèrent destructions de camps de Roms par dizaines, et mépris caractérisé des droits de leurs occupants. Après quelques mois d’une violence d’Etat expérimentale, voilà que nos parlementaires envisagent la normalisation de l’état d’exception et la déclaration, par voie légale, d’un état de guerre. Tel est le sens d’un article inscrit au menu du fatras sécuritaire qui tient lieu de projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2. Cet article 32 ter A prévoit l’évacuation et la destruction de toute « installation [qui] comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ». Aucun recours, aucun répit, exceptées les 48 heures séparant la décision du préfet de son exécution ; pas un mot sur le sort des personnes.
Ce texte, s’il confirme la résurgence d’un authentique racisme d’Etat, relève peut-être davantage d’une politique de terreur non encore répertoriée dans nos manuels d’histoires. Interprétable à l’envi, il promet l’enfer à quiconque n’a simplement pas de logement et s’installe ici ou là, comme il peut. Il concerne au premier chef les 41 000 personnes qui, selon la Fondation Abbé Pierre, vivent sous baraquements ou tentes. L’installation de ces dernières n’était jusqu’à présent condamnée qu’au titre de l’article R644 du Code pénal visant ceux qui « embarrassent la voie publique en y déposant ou y laissant sans nécessité des matériaux ou objets quelconques ». On pénalisait ainsi l’inconvenant déposant sur le trottoir une forme d’encombrant déchet. Avec l’article 32 ter A, la police du territoire se sophistique : ajustée à ce qu’elle vise, elle rend l’habitation elle-même criminelle. Voilà qui confère un relief particulier au récent jugement du Conseil d’Etat estimant bon de « recourir à des modalités d’accueil sous forme de tentes ou d’autres installations comparables » quand « les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées ». Ainsi, tout concourre à la guerre. Des textes prévoyaient jusqu’alors l’évacuation et l’assistance à personne en danger en cas de péril ou d’insalubrité ; sous l’habitation précaire, on envisageait les hommes qui s’y réfugiaient. L’article 32 ter A considère l’installation en ce qu’elle menace la collectivité alentour. Niant l’existence de ceux qui résident là, il les dégrade du statut de sujets de droit. Sans parole, ils entrent par voie légale dans l’immonde. Frappés d’abomination comme par effet de contamination de leur indigne abris, ils seront expulsés, dispersés, ou intégrés dans des « villages d’insertion » ultra-sécurisés bientôt démultipliés. Jusqu’alors demeurait l’illusion que la puissance publique poursuivrait les ambitions des politiques d’accueil, d’hébergement, de logement. Instituant le renoncement, ce texte promet le pire à ceux dont l’habitat porte la trace d’infamie. Il ne vise pas le nomade qu’incarne à la perfection l’exilé fiscal. Il ne vise pas l’étranger, éventuellement bon investisseur. Il vise le démuni, corps en trop.
Alors que l’irraison d’Etat se systématise, nous semblons ne toujours pas concevoir que l’heure de la résistance est venue. Les socles sont là : la Constitution porte l’héritage du CNR et des droits les plus fondamentaux. L’Europe n’est pas en reste : liberté de circulation, accueil dans la dignité des demandeurs d’asile, récente décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme invalidant une procédure d’expulsion au motif que les occupants se « trouvaient en situation de précarité et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée ». Les techniques d’une mise en déroute de la logique destructrice font néanmoins défaut. Il faudrait savoir offrir une « protection renforcée » aux installations, soutenir leur émergence et poursuivre leur simple horizon : faire hospitalité. Il faudrait savoir livrer bataille par l’architecture jusqu’à rendre les lieux non repérables en tant que « dégradations ». Il faudrait savoir prendre place, occuper le territoire et, le construisant tous azimuts, devenir le territoire. Il faudrait bâtir la ville manquante, et cesser d’implorer les « solutions de logement » en laissant accroire que les représentants de l’Etat possèdent la panacée. Il faudrait briser le tabou qui, chez les militants, empêche que soit engagée l’action résolue de fixer les tentes, consolider les baraques, améliorer les installations. Il faudrait reprendre possession d’un savoir-viabiliser le territoire qui, aujourd’hui conçu comme pur espace de transit, devient inhabitable. Alors, peut-être, réinscrirons-nous l’hospitalité comme valeur centrale de construction, reconstituant par le sol l’Etat de droit aujourd’hui en ruines.
Sébastien Thiery
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