L’Atelier Immédiat a vu le jour en 2007 à Paris, dans le sillage de l’action des Enfants de Don Quichotte. Il a rassemblé concepteurs et constructeurs d’espaces déterminés à intervenir auprès des sans-abri et mal-logés affrontant au quotidien l'inhospitalité de nos espaces urbains. Par l'expérimentation et la réflexion, fragiles par définition, il s'est donné pour ambition de concevoir des réponses avec et pour ceux qui, malgré tout, cherchent refuge ici-même. Parce qu'il nous faut rompre avec toutes les positions militantes, politiques, ou professionnelles, qui interdisent d'agir et de penser à nouveaux frais. Parce qu'il nous faut rompre avec le mythe de la solution de logement, définitive et globale, rêve et cauchemar tout autant. Parce qu'il nous faut rompre avec les visions, infiltrées dans tous les partis, qui président au développement d'un urbanisme massif, héroïque et mortifère tout autant.

Parce qu'il nous faut inventer d'autres manières d'expérimenter tous azimuts, d'agir sans relâche, de construire pour et avec les personnes désarmées, mais jamais démunies de tout. Parce qu'il nous faut mobiliser autrement le droit, l'économie, le "social", et composer d'autres horizons de pensée et d'action. Parce qu'il nous faut imaginer des réponses souples, transitoires, évolutives, en devenir et remarquables, et faire ainsi face aux questions diverses, complexes, singulières, et urgentes qui nous sont posées, ici et maintenant. Parce qu'il nous faut trouver le chemin des "villes invisibles" pour toujours davantage leur "faire de la place", comme nous y invite Italo Calvino :

L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo Calvino, Les villes invisibles.






dimanche 21 décembre 2008

Porter assistance à République en danger.

Texte paru dans L'Humanité le 20 décembre 2008



Nous en avons assez. Assez de l’hypocrisie criminelle d’une Ministre qui fait mine de ne pas savoir que les sans-abri meurent été comme hiver. Assez de la gesticulation intempestive d’un gouvernement qui fait grand bruit de mesures d’urgence aux effets dévastateurs. Assez de la communication d’un Etat qui prend le masque de la gravité concernée et du paternalisme responsable, sans changer hors cadre son visage méprisant et ses comportements irresponsables. Sauver les apparences et s’en laver les mains, voici le credo de « responsables politiques » pour lesquels l’hypothèse de l’homme n’est plus nécessaire. Simples citoyens, censés partager la Res-publica, nous sommes jetés là, devant ce spectacle insupportable. Sommés d’agir.



Epuisement

Combien de fois faudra-t-il le répéter ? Répéter que les femmes et les hommes qui fuient nos centres-villes fuient la violence quotidienne d’une police qui traque et de passants qui passent. Répéter que le bois de Vincennes, proche mouroir, préfigure les plus lointains mouroirs où se réfugierons demain les sans-abri sujets à des « mesures d’urgence » toujours plus violemment absurdes. Répéter que ces sans-abri sont dans leur extrême majorité non-avinés, non-inconscients, non-décérébrés, mais bien au contraire très lucides quant aux conditions inhumaines de réclusion temporaire qu’on leur propose en guise de centre « d’hébergement ». Répéter que dans ces centres, où l’on veut les y conduire de force, manque le plus sommaire des conforts : une intimité, des relations humaines bienveillantes et fraternelles. Répéter qu’on ne meurt pas de froid, mais de la rue entendue comme cette condition de survie dénuée de toute dignité, de toute fierté de soi, de toute relation à l’autre. Répéter que les conditions « d’accueil » tuent les hommes et leur espoir de trouver enfin un sens à leur vie.

Combien de fois faudra-t-il hurler notre indignation ? A l’égard de dispositifs d’urgence qui contreviennent aux plus élémentaires règles de bon sens. A l’égard de la prise en otage des sans-abri, le temps d’un hiver, pour se construire dans les médias une respectabilité d’apparat. A l’égard d’un gouvernement prompt à céder à la tentation policière, pour chasser au loin ou héberger de force, témoignant par là même ses monstrueuses carences. A l’égard d’une Ministre, si médiatiquement alarmée, si politiquement méprisante, s’éreintant, pauvre dame, à répéter à hue et à dia qu’il n’y a plus de problème d’hébergement. A l’égard de ces promesses, annonces, plans d’action, et autres plan Marshall, emboîtements d’usines à gaz administrativo-médiatiques qui produisent le vent glacial qui ne cesse de s’abattre sur la République épuisée.



Impuissance

La puissance politique se caractérise par l’art d’inventer de nouveaux horizons, d’imaginer de nouvelles perspectives, de déplacer des montagnes. Nous sommes gouvernés par des impuissants, tel est le constat que les témoins privilégiés que nous sommes sont obligés de faire. Pire : la puissance s’est rétractée en force, et l’usage de celle-ci est de la dernière mode, ultime recours de gouvernants dépassés s’acharnant malgré tout à sauver les apparences. Des armadas de CRS contre les tentes des Enfants de Don Quichotte l’hiver dernier, des poursuites judiciaires invraisemblables contre le DAL cette année. Les tentes sont des déchets nous dit le juge : elles encombrent l’espace public, sans nécessité (article R 644-2 du Code Pénal). Et le Président de la République de préciser que des tentes aux hommes, il n’y a qu’un pas, lors d’un dernier discours à faire mourir de rire ou de honte : 
 « Est-ce qu'un homme ou une femme en pleine nuit dans le Bois de Vincennes, malade, peut-être ayant bu, vivant dans des conditions épouvantables, a la lucidité pour savoir s'il veut ou ne veut pas? Je pose la question. Pour moi, cette personne n'est pas lucide. Je souhaite qu'on l'emmène dans un centre, qu'on la nourrisse, qu'on la soigne, qu'on lui présente sa chambre ou son lit, qu'on lui montre la salle de bain où il aura la possibilité de prendre une douche bien chaude ou...un bain ! ». La suite est du même acabit, divagation incontrôlée sur le thème de l’homme pas tout à fait homme, avec une morale : si la douce offrande est refusée, lavons-nous en les mains !

Voilà qui justifie les barbaries ordinaires dont nous sommes les témoins. Deux ans que nous voyons les tentes confisquées, les hommes traqués, les vies toujours plus brisées. L’usage de la force s’impose : débarrassons nous de ces encombrants, débarrassons nous de notre mauvaise conscience ! L’usage de la force, symptôme stupéfiant de l’impuissance, est le fond brutal d’un gouvernement aux abois. Que Madame Boutin nous fasse la grâce d’une démission ou pas, elle est démissionnaire de fait. Que le Gouvernement la suive, la précède, ou pas, il en est de même. Nous devons prendre acte de la défaillance généralisée, urgemment, car l’hécatombe se poursuit et car nous en sommes aussi responsables.



Sursaut

Certes, nous ne pouvons faire le deuil de la responsabilité de ceux qui disent nous représenter, et nous ne cesserons de les harceler sur la base des droits fondamentaux comme des textes tels que le Droit au Logement Opposable. Nous ne cesserons de les harceler en portant témoignage du désastre, de leurs manquements répétés. Nous ne laisserons pas leur mépris tranquille.

Mais nous devons entreprendre le travail, cesser de nous en tenir à la plainte adressée en vain. Il nous faut faire le travail à la place de l’Etat défaillant : porter la parole des droits les plus fondamentaux, éveiller les citoyens à ceux-ci, en informer les élus de la République manifestement sous-informés. Et faire sans doute davantage : des dizaines de milliers de femmes et d’hommes meurent dans nos rues, des millions de personnes sont « logées » dans des conditions que Monsieur Sarkozy n’imagine manifestement pas. Nous devons nous mêmes, citoyens responsables des hautes idées héritées de nos aînés, porter assistance à ces personnes en danger. Dans la ville, et tout autour, avec les femmes et les hommes qui se trouvent là, nous devons faire acte d’imagination, de création, de puissance. Cesser de faire la part belle au mythe de la solution totale, et faire réponse à la situation avec nos moyens combinés de créateurs, travailleurs sociaux, architectes. Les expériences, les savoirs faire, les imaginations sont là, et attendre de la puissance publique qu’elle sache les faire se rencontrer est une aberration. Face à la carence manifeste de ceux qui se prévalent garants de la République, c’est un sursaut responsable qu’il nous faut produire. Nous devons construire de nos propres mains immédiatement, ici-même, l’abri, le lien, l’hospitalité. Et porter ainsi assistance à République en danger.

vendredi 19 décembre 2008

Contribution pour la revue du 104

Sur le site de la revue du 104, une contribution à plusieurs mains autour de la question de l'intervention dans l'espace urbain. (www.104larevue.fr/artistes/atelier_immediat.html)



mardi 26 février 2008

Faire corps

Par les Enfants de Don Quichotte qui accueillent ce soir à 19h, Place de la République, Stéphane Hessel, ancien résistant français.



Nous sommes beaux.


Une guerre sans nom fait rage, sous nos yeux. Une guerre contre l’homme et sa dignité. Les victimes, sans-abri, sans-papiers, sans culture, sans voix, sans droit, sont des millions, autour de nous, parmi nous. Nos pieds ont foulé le sol de France, sur les rives du canal Saint-Martin comme ailleurs, avant, et nos voix ont porté la plainte des femmes, des enfants, des hommes que nous y avons rencontrés. Nous vivons dans un pays où l’hypothèse de l’homme n’est plus nécessaire. Elle est même, à bien des égards, devenue encombrante. Nous nous rassemblons aujourd’hui avec la conscience forte et douloureuse que citoyens de cette France là, nous cautionnons le mépris, les insultes, et l’oubli à l’égard des conquêtes de nos parents qui tout au long de notre histoire se sont battus, jusqu’à perdre la vie bien souvent, pour une idée : l’humanisme.

Nos pères de France et de Navarre se sont battus en 39 contre le nazisme et le racisme ; la dignité piétinée des familles que l’Etat français renvoie au delà des frontières est une insulte à leur combat. Nos pères de métropole et des colonies se sont battus en 14 pour la France et sa civilisation ; la dignité bafouée d’un sans-abri qui meurt dans les rues de France est une insulte à leur combat. Nos pères des Lumières se sont battus pour que la devise Liberté, Egalité, Fraternité soit inscrite au fronton de notre République ; les conditions de vie insoutenables dans les banlieues sont une insulte à leur combat.

Voyons le monde que porteront nos enfants, ces jeunes qui vivent dehors, ces petits frères qui brûlent et cassent, ces écoliers qui pleurent en voyant leurs camarades raflés et renvoyés hors des frontières ! Nous sommes malades, et nos enfants, déjà, portent notre rage. Dans l’incendie des voitures, dans le rouge des tentes, dans les pleurs des enfants, c’est une plainte qui est portée. Nos enfants portent déjà plainte, contre nous. Nous sommes responsables de l’immonde qui se développe sous leurs yeux. Que sommes nous en train de leur léguer ? Nous n’avons rien à leur promettre. Notre présent est sans issu. Et ce sont nos enfants qui se prendront le mur.

Racailles, clochards, analphabètes, jeunes écervelés, vieillards non productifs. Nous crions, brûlons, puons. Voici comment l’œil des médias nous voit, nous construit. Le peuple s’en convainc et, pire, nous intégrons insidieusement cela : notre destin de presque rien. Pourtant, nous sommes beaux de ce que nos pères nous ont offerts en héritage. Nous sommes beaux d’être les enfants de ceux qui, très haut, très loin, ont porté les idéaux de la République. Que sont laids ceux qui méprisent ces idéaux et anéantissent les conquêtes sociales de la Libération ! Que sont laids nos responsables politiques qui chemin faisant ont oublié ce qui fonde notre maison commune, la dignité de la personne humaine !



Notre colère porte la mémoire de la République.


Les réponses politiques démagogiques, pragmatiques, disparates, décousues à grands coups de plans pour temps de « crises » ou « d’émeutes » témoignent d’une incompréhension de ce qui se manifeste dans l’irruption de nos colères. Nos représentants politiques ne savent pas lire ce que disent, ensemble, les cris épars : des voitures qui brûlent, des trains qui s’arrêtent, des tentes qui surgissent, des écoles qui s’insurgent contre les renvois à la frontière.

Le sans-abri ne saurait témoigner de l’ampleur de sa lutte : il survit. Le jeune banlieusard ne saurait témoigner de la hauteur de son désir d’habiter là : il enrage. Le retraité, le fonctionnaire, l’étudiant manifestent secrètement un même rêve, celui de voir restaurée la maison commune. Nous ne prendrons pas la défense de ceux qui cassent et tuent, mus par une colère aussi monstrueuse qu’inopérante. Mais leur haine est la conséquence d’une politique économique, sociale, urbaine qui est la véritable cause du trouble à l’ordre public. La violence de l’Etat crève les yeux, et nos représentants s’efforcent de sauver les apparences, comme ce fut le cas sur les quais de Seine, le 15 décembre dernier, où furent diligentées les forces de l’ordre pour faire disparaître les tentes des Enfants de Don Quichotte. En dernier recours, ils parient sur l’aveuglement de tous.

Le temps est venu d’écrire le texte dont ces cris témoignent. Le travail est immense, et il nous faut l’accomplir pour gagner à nouveau ce qu’il est impensable de perdre : notre dignité de citoyens Français. Il nous faut repenser un programme de résistance pour notre siècle. Il nous faut créer le monde qui sourd en nous, ce monde rêvé par nos pères et piétiné par nos représentants politiques. Il nous faut répéter les bases de ce qui fait notre honneur, à savoir d’être les enfants de ceux qui ont rêvé pour nous d’une France qui soit la citadelle des droits de l’homme, la flamme de la dignité humaine.

Nous sommes la multitude porteuse de la mémoire de France, enfants des Révolutionnaires de 1789, des Communards, des Résistants, et de bien d’autres encore. Nous sommes les porteurs d’un héritage que nous devons défendre pour sauver ce qui nous rassemble, malgré tout, y compris malgré nos différences sociales, générationnelles, partisanes : la République. Nous sommes une nouvelle génération, neuve parce que déterminée à ne plus oublier. Nous sommes par conséquent bien plus vieux que ces représentants de l’Etat que nous avons tant fréquentés ces derniers mois, plus soucieux des valeurs qui font notre fierté d’être français.



Nous mettons notre corps Républicain en travers.


Aujourd’hui, la 5e puissance mondiale n’entreprend aucun des chantiers politiques d’envergure que depuis des années bien souvent nous réclamons, à corps et à cris. On nous répond que nous sommes inconscients et déraisonnables, en perte de repères, des sauvageons, bientôt des terroristes. En négligeant ce qui constitue notre trésor commun, ce sont nos représentants eux-mêmes qui ont quitté le sol de nos principes les plus élémentaires. Ce sont eux qui ont perdu tout repère, qui ont renoncé à la raison qui nous rassemble. Car, jusqu’alors, les textes constitutionnels demeurent sans ambiguïtés : le sacrifice des économiquement faibles, des improductifs, des accidentés de la vie contrevient absolument à leur esprit, sinon leur lettre.

Les citoyens que nous sommes doivent se rassembler et démontrer que notre territoire peut et doit devenir un domicile au sein duquel chacun puisse trouver une place digne auprès des autres. Avec nos corps là, flanqués en travers, nous n’occuperons pas le territoire, mais nous serons le territoire, celui de la République de l’hospitalité. Nous devons amorcer un nouveau commencement, et retrouver ainsi le fil de ce que de plus anciens que nous avaient commencé.




Les Enfants de Don Quichotte, 21 février 2008.

samedi 19 janvier 2008

Toi qui prendra le temps de me lire*

Du fin fond d’un roman chevaleresque, du bord froissé de sa toute première page, de l’esquisse du tout premier geste d’écriture de son auteur, d’un moment toujours un peu plus lointain, l’histoire est née. Cette histoire s’est poursuivie le 15 décembre 2007, aux abords du parvis de Notre Dame de Paris, kilomètre zéro du territoire national. Là, des architectes, designers, scénographes, paysagistes, et autres créateurs d’espaces en tout genre se sont retrouvés auprès des Enfants de Don Quichotte. Encore, il s’agissait d’exiger l’élémentaire, la prise en considération de souffrances, de désirs, de voix étouffées. A nouveau, il s’agissait d’exiger le droit pour des dizaines de milliers de femmes et d’hommes d’habiter ici-même, en France, avec la garantie de « moyens convenables d’existence ». Toujours, il s’agissait d’exiger que ces mots et ces principes contenus dans un autre texte fondamental, la Constitution de la 5e République, soient respectés.



Il était impensable que l’Etat, garant de notre maison commune, n’honore pas ses engagements pris le 8 janvier 2007 devant la Nation, devant les sans-abri du canal Saint-Martin. Il était impensable qu’une Ministre réponde inlassablement par des mensonges grossiers à la question de l’application de ces engagements, et ce en dépit d’évidences reconnues par l’ensemble des associations compétentes. Il était impensable que nos représentants puissent ne pas donner à la Nation les moyens budgétaires d’appliquer une loi historique, celle relative au Droit au Logement Opposable. Il était impensable que le gouvernement puisse agiter l’argument de la caisse vide, méprisant ainsi ce que d’anciens nous ont légués de plus précieux, à savoir qu’en République seul importe l’argument humain : le 4 octobre 1945 la France ruinée créait la Sécurité Sociale non parce que c’était raisonnable, mais parce que c’était humainement nécessaire. Il était impensable qu’alors que nous nous mobilisions contre une forme de terrorisme ambiant, la puissance publique ordonne l’usage de la force pour nous disperser. Il était impensable que l’Etat ajoute de la violence à la violence pour empêcher que le regard de tous ne saisisse l’étendue du désastre.

De cette épreuve, et d’un moment qui l’a précédée aussi, l’histoire est née. Cette histoire s’est poursuivie au sein de certains ateliers d’architectes, de designers, de scénographes, de paysagistes, et d’autres créateurs d’espaces en tout genre. Cette histoire s’est poursuivie par l’évocation du cas de milliers de personnes pour lesquelles seules des solutions au rabais, et rares qui plus est, sont imaginées. Cette histoire s’est poursuivie grâce à la volonté partagée par une trentaine de professionnels de montrer qu’il n’est pas seulement nécessaire, mais aussi possible, de construire là, de répondre immédiatement au désir d’habiter la ville, de dessiner les espaces de vie pour des femmes, des hommes, des enfants qui, par choix, par nécessité, partagent notre histoire. L’Atelier Immédiat est né là, de la volonté de rassembler des désirs, des savoir-imaginer, des savoir-faire, et de répondre autant que faire se peut, aussi bien que possible, à des situations humaines intolérables.


Le 31 décembre 2007, l’association Les Enfants du Canal alerte l’Atelier Immédiat quant à la situation précaire qui est la sienne. Imaginée sur les rives du canal Saint-Martin, cette structure d’hébergement accueille aujourd’hui 35 résidents dans un bâtiment du 14e arrondissement qu’elle aurait dû quitter en septembre. La structure doit déménager de manière urgente ; mais lourdeurs administratives insensées, incompétences des services administratifs, et autres incohérences budgétaires rendent ce déménagement improbable. Des femmes et des hommes vivent alors dans la perspective traumatisante de se retrouver à nouveau sans toit ; le contribuable paie une fortune cette situation inouïe : l’OPAC, propriétaire de ce bâtiment et désireux d’y entreprendre des travaux, reçoit de l’Etat de substantiels dédommagements pour la gêne occasionnée... La question posée par les Enfants des Canal à l’Atelier Immédiat se résume donc ainsi : comment créer rapidement et à moindres coûts un espace dans Paris afin d’accueillir les 35 résidents, et démontrer ainsi que des réponses existent à de telles situations d’urgence ?

Alors que le gouvernement imagine un énième plan d’action pour apporter une solution globale à la question des sans-abri, l’Atelier Immédiat élabore son projet en 15 jours en suivant quelques principes fondamentaux. Un centre d’hébergement est un lieu qui, accueillant des personnes fragilisées par une expérience dramatique, doit être l’objet de tous les soins. Centre d’accueil et de vie, il doit être créé pour et avec les résidents qui l’occuperont. Centre de stabilisation, il doit s’inscrire dans la ville, à proximité des lieux de vie, des lieux de travail, des centres de ressources, des réseaux d’amis des personnes qui l’occupent. En construisant de tel abris collectifs il ne s’agit pas de produire des réponses de substitution aux « solutions de logements » dont l’Etat a la charge conformément au Droit au logement opposable en vigueur depuis le 1er janvier 2008. Face à une telle problématique, il s’agit de faire preuve d’audace et d’innovation, et notamment d’utiliser un terrain vacant pour un temps, puis un autre, et ainsi de suite, afin de rendre habitables les vides temporaires de la ville qui n’existent pas aux yeux de l’administration. Pour démontrer combien les contraintes économiques peuvent se voir allégées, il s’agit de développer des réseaux d’économie solidaire, des stratégies de récupération de matériaux de constructions, des logiques de chantiers d’insertion, etc.

Le 15 janvier 2008, l’Atelier Immédiat présente une première esquisse du projet aux Enfants du Canal lors d’un dîner organisé par l’association. Une trentaine d’unités d’habitations, ainsi que tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement du centre d’hébergement. Un ensemble auto-constructible en partie, réalisable dans les quelques semaines à venir, avec l’implication des futurs résidents des lieux. Une chantier trois fois moins coûteux que le village de bungalows d’Ivry, cinq fois moins que la seule solution qu’envisageait l’Etat : un bâtiment à rénover de fond en comble. Un ensemble à taille humaine, comme l’est la structure des Enfants du Canal qui grâce à cela peut mener un travail social performant. Un espace construit autour de la personne humaine et du respect de son intimité, du respect de ses choix de vie. Une structure d’habitations denses qui puisse ainsi faire modèle pour de nouveaux projets de ce type dans la ville, non loin des espaces de vie des sans-abri. Un bâti démontable et remontable ailleurs, démontrant ainsi sa possible implantation dans des vides temporaires de la ville. Un lieu où l’histoire devra se poursuivre, où les créateurs reviendront, pour apprendre aux résidents comment démonter, puis remonter, pour travailler avec eux sur d’autres situations, sur d’autres projets. Un projet non pas reproductible du point de vue de sa forme, puisqu’il répond à des désirs de femmes et d’hommes formulés ici et maintenant, parce qu’il implique l’utilisation de matériaux disponibles maintenant. Mais un processus dont l’esprit et la méthode peuvent et doivent être reproduits ailleurs. Parce que les besoins sont immenses et multiples ; parce que les réponses sont nécessaires et innombrables.


Sébastien Thiery, Porte parole de l’Atelier Immédiat, 16 janvier 2008.

* Premiers mots du Don Quichotte de Cervantès