L’Atelier Immédiat a vu le jour en 2007 à Paris, dans le sillage de l’action des Enfants de Don Quichotte. Il a rassemblé concepteurs et constructeurs d’espaces déterminés à intervenir auprès des sans-abri et mal-logés affrontant au quotidien l'inhospitalité de nos espaces urbains. Par l'expérimentation et la réflexion, fragiles par définition, il s'est donné pour ambition de concevoir des réponses avec et pour ceux qui, malgré tout, cherchent refuge ici-même. Parce qu'il nous faut rompre avec toutes les positions militantes, politiques, ou professionnelles, qui interdisent d'agir et de penser à nouveaux frais. Parce qu'il nous faut rompre avec le mythe de la solution de logement, définitive et globale, rêve et cauchemar tout autant. Parce qu'il nous faut rompre avec les visions, infiltrées dans tous les partis, qui président au développement d'un urbanisme massif, héroïque et mortifère tout autant.

Parce qu'il nous faut inventer d'autres manières d'expérimenter tous azimuts, d'agir sans relâche, de construire pour et avec les personnes désarmées, mais jamais démunies de tout. Parce qu'il nous faut mobiliser autrement le droit, l'économie, le "social", et composer d'autres horizons de pensée et d'action. Parce qu'il nous faut imaginer des réponses souples, transitoires, évolutives, en devenir et remarquables, et faire ainsi face aux questions diverses, complexes, singulières, et urgentes qui nous sont posées, ici et maintenant. Parce qu'il nous faut trouver le chemin des "villes invisibles" pour toujours davantage leur "faire de la place", comme nous y invite Italo Calvino :

L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo Calvino, Les villes invisibles.






dimanche 11 mars 2012

Du droit comme outil de construction


Campement du Hanul à Saint-Denis (93),
avant le 6 juillet 2010 (photo Julien Beller)

Campement du Hanul à Saint-Denis (93),
le 6 juillet 2010 (photo Julien Beller)

Campement du Hanul à Saint-Denis (93),
avant le 6 juillet 2010 (photo Julien Beller)

Campement du Hanul à Saint-Denis (93),
le 6 juillet 2010 (photo Julien Beller)


La matière juridique, des sédiments de droits fondamentaux aux multiples jurisprudences européennes, s'avère une ressource précieuse pour l'action, un obstacle sérieux à la logique destructrice telle que mise en oeuvre ici à Saint-Denis (lire le récit de cette destruction dans cette tribune publiée sur Médiapart). Le droit aujourd'hui "disponible" (sans compter celui que l'interprète audacieux saura encore et encore engendrer) livre bien des armes à qui est convaincu qu'il faut enfin soutenir les installations éparses, les accompagner malgré tout sur le chemin de leur consolidation, les porter inlassablement au delà de l'état misérable dans lequel elles sont comme systématiquement fixées, les faire devenir, autant que faire se peut, des habitats, des quartiers, des morceaux de ville. Lire et relire quelques-uns des textes les plus fondamentaux permet de se faire à l'idée qu'il est inconcevable de laisser déperrir un lieu de vie. Entendre les jurisprudences les plus contemporaines, où le juge se prononce parfois de manière très bienveillante sur des affaires d'expulsion ou de destruction, permet par ailleurs de se faire à l'idée qu'il est inconcevable de ne pas soutenir quelque établissement humain que ce soit, d'en améliorer la qualité, y compris s'il ne s'agit là que d'un refuge d'un seul jour. Il va de soi que telle perspective n'est pas à l'ordre du jour, y compris du point de vue des associations de militants et d'acteurs sociaux qui, dans leur immense majorité, considèrent que construire ici et maintenant vaut acceptation de l'inacceptable. Dans l'optique qu'un beau jour on finisse par considérer qu'il est surtout inacceptable de ne pas construire immédiatement avec et pour ceux qui ont trouvé refuge ici et maintenant, voici quelques premiers arguments juridiques à faire valoir : 


- « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux (…) ». Article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.
- « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. (…) Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ». Préambule de la Constitution de 1946, lui-même préambule de la Constitution de 1958.
- « Garantir un droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation ». Loi du 31 mai 1990.
- « La possibilité de disposer d’un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle ». Décision du Conseil Constitutionnel du 19 janvier 1995.
- « N’est pas constitué le délit de violation de domicile au sens de l’article 226-4 du Code pénal, qui exige une introduction dans le domicile d’autrui, lieu servant effectivement à l’habitation et occupé, dès lors qu’il est constaté que l’appartement dans lequel s’est introduit le prévenu, en forçant la serrure, était totalement vide de toute occupation ». Décision n° 95-423 de la Cours d’Assise de Versailles, 31 janvier 1995.
- Invalidation européenne d’une procédure d’expulsion d’occupants sans titre en France au motif que ces occupants se « trouvaient en situation de précarité et fragilité, et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée ». Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 12 octobre 2010, Société Cofinco c. France.
- Opposition aux dispositions contenues dans la loi dite LOPPSI 2 (Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure, votée par le Parlement en décembre 2010) visant l'évacuation et la destruction en référé de campements illicites au motif que « ces dispositions permettent de procéder dans l'urgence, à toute époque de l'année, à l'évacuation, sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d'un logement décent ». Décision 2011-625DC du Conseil Constitutionnel en date du 10 mars 2011.


Le droit s'avère donc favorable, plus qu'on ne le dit, à la prise de l'espace et à la construction en dissidence (sans compter le droit de réquisition tel que défini notamment dans l'ordonnance du 11 octobre 1945, texte déjà analysé dans un post plus ancien intitulé "Réinventons notre logement !", accessible en cliquant ici). Des savoirs et savoir-faire sont en outre disponibles tout autour de nous, auprès de concepteurs et constructeurs d'espaces qui doivent pouvoir être mobilisés, ou qui cherchent le chemin de cette mobilisation comme à travers la (bien trop) modeste activité de l'Atelier Immédiat. Ne manque que la "volonté politique" des associations, militants, acteurs de terrain en tout genre, malheureusement paralysés par l'idée saugrenue que nulle construction digne de ce nom (autrement nommée "solution de logement") ne peut s'envisager en dehors de celles que l'Etat administre et réglemente. Ce qui est un comble de soumission et d'humiliation, alors qu'à tour de bras l'Etat ordonne plus que de raison destructions et autres démantèlements, en se référant au droit qu'il peut, souvent des plus invraisemblables. Par exemple, pour débarrasser les tentes qui s'infiltrent dans le tissu urbain, nous savons depuis une décision de novembre 2008 que la puissance publique invoque l'article R644 du Code pénal qui dispose : "Le fait d'embarrasser la voie publique en y déposant ou y laissant sans nécessité des matériaux ou objets quelconques qui entravent ou diminuent la liberté ou la sûreté de passage est puni de l'amende prévue pour les contraventions de 4e classe. Les personnes coupables de la contravention prévue au présent article encourent également la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit". Instituant donc l'équivalence de statut comme de valeur entre une tente et un déchet. 

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