L’Atelier Immédiat a vu le jour en 2007 à Paris, dans le sillage de l’action des Enfants de Don Quichotte. Il a rassemblé concepteurs et constructeurs d’espaces déterminés à intervenir auprès des sans-abri et mal-logés affrontant au quotidien l'inhospitalité de nos espaces urbains. Par l'expérimentation et la réflexion, fragiles par définition, il s'est donné pour ambition de concevoir des réponses avec et pour ceux qui, malgré tout, cherchent refuge ici-même. Parce qu'il nous faut rompre avec toutes les positions militantes, politiques, ou professionnelles, qui interdisent d'agir et de penser à nouveaux frais. Parce qu'il nous faut rompre avec le mythe de la solution de logement, définitive et globale, rêve et cauchemar tout autant. Parce qu'il nous faut rompre avec les visions, infiltrées dans tous les partis, qui président au développement d'un urbanisme massif, héroïque et mortifère tout autant.

Parce qu'il nous faut inventer d'autres manières d'expérimenter tous azimuts, d'agir sans relâche, de construire pour et avec les personnes désarmées, mais jamais démunies de tout. Parce qu'il nous faut mobiliser autrement le droit, l'économie, le "social", et composer d'autres horizons de pensée et d'action. Parce qu'il nous faut imaginer des réponses souples, transitoires, évolutives, en devenir et remarquables, et faire ainsi face aux questions diverses, complexes, singulières, et urgentes qui nous sont posées, ici et maintenant. Parce qu'il nous faut trouver le chemin des "villes invisibles" pour toujours davantage leur "faire de la place", comme nous y invite Italo Calvino :

L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo Calvino, Les villes invisibles.






vendredi 28 septembre 2012

"Le problème Rom"

Chronique à paraître dans le numéro 66 de la revue Mouvement, novembre 2012



Vent debout, la gauche unanime s'était indignée du "discours de Grenoble" du 30 juillet 2010, vomissement sarkozyste à l'endroit des "Roms et des gens du voyage" réunis, pour les besoins de la cause xénophobe, dans la catégorie "problème de sécurité publique". L'opposition humaniste s'était alarmée de l'amalgame présidentiel, de l'obsession droitière exigeant que soit confié à l'Intérieur le soin de traiter le dit "problème", et de l'aveugle violence alors déclenchée contre des installations "démantelées" comme on éradique des filières criminelles. Lundi 10 septembre 2012, le Président de la République, qui avait entre temps changé, annonçait envoyer le Ministre de l'Intérieur à Bucarest pour "que ce problème soit traité à la source", et ce au coeur d'une copieuse vague de "démantèlements" de dits "campements" de populations qui ne campent pas, mais cherchent refuge. Pour les Roms, le changement c'est pas maintenant. C'est en substance ce que, dès le 30 août dans Libération, Eric Fassin démontrait dans une tribune finement titrée : "Une xénophobie normale". Entre autres développements cinglants, l'auteur invitait à reconsidérer le paysage politique français à peu près comme suit : un homme de droite prétendra que le réfugié Rom est un problème, un homme de gauche qu'il a un problème. La raison est sauve : François Hollande, président de droite, poursuit "normalement" le travail entrepris par son prédécesseur.

Juste avant de se rendre en Roumanie en vue d'y "fixer" les Roms, parasites malheureusement européens, Manuel Valls s'offrit le 11 septembre une conférence de presse stupéfiante pour un ministre de droite. Alors qu'il aurait pu se contenter d'un cynique communiqué évoquant la détresse de Roms que ses services terrorisent et humilient, il s'est emporté jusqu'à les qualifier de "damnés de la Terre", faisant ainsi référence au crucial ouvrage de Franz Fanon, lecture de chevet du Black Panthers Party. Manuel Valls a peut-être lu Franz Fanon, théoricien de l'émancipation subjective et politique des peuples méprisés, comme le furent les espagnols soumis à la dictature franquiste que ses propres parents fuirent dans les années 40. Manuel Valls a peut-être connu la terreur et l'humiliation, et trouvé dans Les Damnés de la Terre un souffle, une raison. S'il n'était pas question ici de la vie de familles Roms soumises aux paroles scabreuses et aux actes délirants de nos responsables politiques, une question plus triviale aurait pu nous occuper : Manuel Valls a-t-il un problème, ou est-il un problème ? ­
Franz Fanon s'affirmerait aujourd'hui Rom parmi les Roms, peuple colonisé par des regards assassins les assignant à résidence d'une identité problématique. Ici-même, les Roms sont assujettis à un être-délinquant, ne souffrant pas comme tout le monde au travail légal. Leur douleur n'est pas belle, elle est obscène, feinte pour tout dire, tant ils ne peuvent manquer de s'organiser dans l'ombre de nos métropoles. Ici-même, les Roms sont assujettis à un être-parasitaire, ne jouissant pas comme tout le monde d'un logement propre. Leur habitat n'est pas digne, il transpire les bas-fonds, et germe telle une souillure physique voire morale exigeant que la civilisation nous en débarrasse. Contre cette aliénation qui condamne au silence l'humanité qu'ils sont, des voix se sont levées, des textes déversés, des films dressés. Patente est l'impuissance de nos formes communes d'indignation, incapables d'ébranler les images : désormais ordinaire, la violence faite à ces "insalubres" ne peut que se généraliser.

"Comment guérir le colonisé de son aliénation ?", questionnait Franz Fanon à contre-pied du réflexe d'indignation. Les Black Panthers l'ont compris, renonçant à "sensibiliser" le blanc pour enfin recevoir une "reconnaissance", ou bénéficier de quelque "solution" que ce soit. Ils arrachèrent leur droit avec quelques blancs affranchis, construisirent des écoles, créèrent un système de sécurité sociale, bâtirent leur histoire. Ainsi se sont-ils engagés sur le chemin d'une émancipation lourde de conséquences, à la force d'actes de création qui seuls peuvent renverser les regards assassins. Il n'y a pas de problème Rom, ni d'ailleurs de problème afghan, kosovar, ou polonais, mais que des solutions humaines. Il n'y a plus à vociférer son indignation, mais à risquer des actes de construction qui, convoquant le geste et la parole de cette multitude devant le monde, l'arrache au statut d'immondice qu'un pouvoir de droite continue de lui coller à la peau.




dimanche 23 septembre 2012