Vent debout, la gauche unanime s'était
indignée du "discours de Grenoble" du 30 juillet 2010,
vomissement sarkozyste à l'endroit des "Roms et des gens du
voyage" réunis, pour les besoins de la cause xénophobe, dans
la catégorie "problème de sécurité publique".
L'opposition humaniste s'était alarmée de l'amalgame présidentiel,
de l'obsession droitière exigeant que soit confié à l'Intérieur
le soin de traiter le dit "problème", et de l'aveugle
violence alors déclenchée contre des installations "démantelées"
comme on éradique des filières criminelles. Lundi 10 septembre
2012, le Président de la République, qui avait entre temps changé,
annonçait envoyer le Ministre de l'Intérieur à Bucarest pour "que
ce problème soit traité à la source", et ce au coeur d'une
copieuse vague de "démantèlements" de dits "campements"
de populations qui ne campent pas, mais cherchent refuge. Pour les
Roms, le changement c'est pas maintenant. C'est en substance ce que,
dès le 30 août dans Libération, Eric Fassin démontrait
dans une tribune finement titrée : "Une xénophobie normale".
Entre autres développements cinglants, l'auteur invitait à
reconsidérer le paysage politique français à peu près comme suit
: un homme de droite prétendra que le réfugié Rom est un
problème, un homme de gauche qu'il a un problème. La raison
est sauve : François Hollande, président de droite, poursuit
"normalement" le travail entrepris par son prédécesseur.
Juste avant de se rendre en Roumanie
en vue d'y "fixer" les Roms, parasites malheureusement
européens, Manuel Valls s'offrit le 11 septembre une conférence de
presse stupéfiante pour un ministre de droite. Alors qu'il aurait pu
se contenter d'un cynique communiqué évoquant la détresse de Roms
que ses services terrorisent et humilient, il s'est emporté jusqu'à
les qualifier de "damnés de la Terre", faisant ainsi
référence au crucial ouvrage de Franz Fanon, lecture de chevet du
Black Panthers Party. Manuel Valls a peut-être lu Franz Fanon,
théoricien de l'émancipation subjective et politique des peuples
méprisés, comme le furent les espagnols soumis à la dictature
franquiste que ses propres parents fuirent dans les années 40.
Manuel Valls a peut-être connu la terreur et l'humiliation, et
trouvé dans Les Damnés de la Terre un souffle, une raison.
S'il n'était pas question ici de la vie de familles Roms soumises
aux paroles scabreuses et aux actes délirants de nos responsables
politiques, une question plus triviale aurait pu nous occuper :
Manuel Valls a-t-il un problème, ou est-il un problème ?
Franz Fanon s'affirmerait aujourd'hui
Rom parmi les Roms, peuple colonisé par des regards assassins les
assignant à résidence d'une identité problématique. Ici-même,
les Roms sont assujettis à un être-délinquant, ne souffrant pas
comme tout le monde au travail légal. Leur douleur n'est pas belle,
elle est obscène, feinte pour tout dire, tant ils ne peuvent manquer
de s'organiser dans l'ombre de nos métropoles. Ici-même, les Roms
sont assujettis à un être-parasitaire, ne jouissant pas comme tout
le monde d'un logement propre. Leur habitat n'est pas digne, il
transpire les bas-fonds, et germe telle une souillure physique voire
morale exigeant que la civilisation nous en débarrasse. Contre cette
aliénation qui condamne au silence l'humanité qu'ils sont, des voix
se sont levées, des textes déversés, des films dressés. Patente
est l'impuissance de nos formes communes d'indignation, incapables
d'ébranler les images : désormais ordinaire, la violence faite à
ces "insalubres" ne peut que se généraliser.
"Comment guérir le colonisé de
son aliénation ?", questionnait Franz Fanon à contre-pied du
réflexe d'indignation. Les Black Panthers l'ont compris, renonçant
à "sensibiliser" le blanc pour enfin recevoir une
"reconnaissance", ou bénéficier de quelque "solution"
que ce soit. Ils arrachèrent leur droit avec quelques blancs
affranchis, construisirent des écoles, créèrent un système de
sécurité sociale, bâtirent leur histoire. Ainsi se sont-ils
engagés sur le chemin d'une émancipation lourde de conséquences, à
la force d'actes de création qui seuls peuvent renverser les regards
assassins. Il n'y a pas de problème Rom, ni d'ailleurs de problème
afghan, kosovar, ou polonais, mais que des solutions humaines. Il n'y
a plus à vociférer son indignation, mais à risquer des actes de
construction qui, convoquant le geste et la parole de cette multitude
devant le monde, l'arrache au statut d'immondice qu'un pouvoir de
droite continue de lui coller à la peau.
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