L’Atelier Immédiat a vu le jour en 2007 à Paris, dans le sillage de l’action des Enfants de Don Quichotte. Il a rassemblé concepteurs et constructeurs d’espaces déterminés à intervenir auprès des sans-abri et mal-logés affrontant au quotidien l'inhospitalité de nos espaces urbains. Par l'expérimentation et la réflexion, fragiles par définition, il s'est donné pour ambition de concevoir des réponses avec et pour ceux qui, malgré tout, cherchent refuge ici-même. Parce qu'il nous faut rompre avec toutes les positions militantes, politiques, ou professionnelles, qui interdisent d'agir et de penser à nouveaux frais. Parce qu'il nous faut rompre avec le mythe de la solution de logement, définitive et globale, rêve et cauchemar tout autant. Parce qu'il nous faut rompre avec les visions, infiltrées dans tous les partis, qui président au développement d'un urbanisme massif, héroïque et mortifère tout autant.

Parce qu'il nous faut inventer d'autres manières d'expérimenter tous azimuts, d'agir sans relâche, de construire pour et avec les personnes désarmées, mais jamais démunies de tout. Parce qu'il nous faut mobiliser autrement le droit, l'économie, le "social", et composer d'autres horizons de pensée et d'action. Parce qu'il nous faut imaginer des réponses souples, transitoires, évolutives, en devenir et remarquables, et faire ainsi face aux questions diverses, complexes, singulières, et urgentes qui nous sont posées, ici et maintenant. Parce qu'il nous faut trouver le chemin des "villes invisibles" pour toujours davantage leur "faire de la place", comme nous y invite Italo Calvino :

L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo Calvino, Les villes invisibles.






dimanche 31 octobre 2010

Expulsion des Jeudi Noir de la Marquise : comme convenu

A situation bloquée, débat bloqué, telle est la conclusion d’une année d’occupation de la très patrimoniale et médiatique Marquise où l’on aurait pu espérer que l’action militante accouche enfin d’une pensée rénovée sur la ville, et esquisse la définition d’une politique d’hospitalité ringardisant les vieilles équations de la politique du logement.

Paru dans l'Humanité du samedi 30 octobre 2010.



Evacuation des lieux, échauffourées, dissipation. Il est 8h du matin, samedi 23 octobre, les forces de l’ordre ont bouclé les accès à la Marquise, nom donné par ses ex-occupants à l’hôtel particulier sis 1bis Place des Vosges. Le rideau tombe, chacun est invité à rejoindre son chez soi. Pour la trentaine d’étudiants de Jeudi Noir expulsés, chez moi c’est chez une copine. Quant à la propriétaire des lieux, Béatrice Cottin, 88 ans, chez moi c’est là bas où j’y suis depuis deux ans, à savoir une élégante maison de retraite parfaitement chauffée. L’hôtel particulier de 1500 m2 ne l’est pas. La vieille dame n’y habitait d’ailleurs plus depuis des années. Il restera vide sans doute encore longtemps.

Le camp de la propriétaire, sous tutelle, remporte pas moins de 72 000 euros en guise de réparation du « préjudice » occasionné par l’occupation d’un lieu inoccupé qui, accessoirement, a été nettoyé, entretenu, augmenté d’un jardin, et visité par d’éventuels futurs acquéreurs à l’occasion d’ouvertures publiques. C’est en somme tout bénef. Quant aux squatteurs, ils ont vécu un an dans un bien bel endroit pas trop mal situé, et pour un loyer qui, si l’on s’en réfère à ces « indemnités d’occupation », revient à tout casser à 200 euros mensuels par tête. Abstraction faite de la plus ou moins grande satisfaction des intérêts contradictoires, il n’y a donc rien à retenir pour la collectivité de cet affrontement convenu. On raconte que chacun s’est retranché sur ses positions régulières : les méchants squatteurs dénonçant les méchants propriétaires, et vice et versa.

Piètre bilan politique pour cette action des Jeudi Noir. Malgré une année passée dans une majestueuse arène, en plein cœur de Paris, personne n’est parvenu à faire entendre toute la modernité de la loi de réquisition. Outre le fait que derrière ce texte qui ne circule pas sous le manteau ne s’organise nul complot bolchevique, il eut fallu expliquer que la procédure de réquisition est clairement encadrée, que ses bénéficiaires sont strictement définis (article L. 642-2), que sa durée d’application est nettement délimitée, et que sont même prévues des indemnités d’occupation (article L.641-7) permettant au propriétaire jamais violé de ne pas se sentir volé. Alors, la voie eut été ouverte à une réflexion sur les modalités d’occupation de lieux vacants qui, permettant d’envisager des miracles étant donnée l’étendue de la vacance dans nos villes, permettrait de rompre avec les invraisemblables politiques de l’urgence dont le contribuable n’a semble-t-il toujours pas connaissance du coût.

Si les militants ont leur responsabilité, réduisant souvent leur combat à quelque slogan bas du front du type « a-pplication d’la loi d’réquisition ! (bis) », les architectes ont la leur qui ne se manifestent guère pour faire la démonstration des multiples interventions envisageables dans les espaces vacants afin d’y créer les lieux de vie nécessaires à la co-habitation. Réquisitionner n’est pas confisquer, et les 10% de logements vides à Paris sont disponibles pour un temps selon les termes de la loi. Comment occuper ces lieux tout en s’en occupant ? Comment envisager du temporaire qui ne soit au rabais, d’astucieuses réhabilitations pour la nécessaire reconstruction de ceux qui pourront habiter un temps ici, et envisager alors d’autres temps meilleurs ailleurs ? Comment construire autrement qu’industriellement, dans les délaissés urbains notamment, et attendre d’une politique du logement une autre ambition que celle de faire disparaître les corps en trop en créant des niches en masse et, surtout, éloignées ? Comment créer au cœur de la ville les lieux de vie pour les 30% de sans-abri qui travaillent ici-même, pour les 100 % d’étudiants qui étudient ici-même, et pour tous les autres ?

Place des Vosges, mille expérimentations auraient pu et dû être conduites démontrant les innombrables réponses envisageables pour faire face à la réalité protéiforme du mal logement. Il n’y a que les fanatiques pour croire les intérêts inconciliables, les problèmes globaux et les solutions éternelles. Le droit est souple et malléable, comme la ville, plastique et pleine de respirations trop peu révélées. Pour trouver le chemin de réponses alternatives aux prétendues « solutions de logement », il faut expérimenter tous azimuts : redoubler de sens tactique pour que s’applique enfin la loi de réquisition, et s’inventent des dispositifs du même acabit, justes et audacieux ; redoubler de sens technique pour ringardiser la catégorie de « logement », sèche et réglementaire, et inventer des formes d’habitat permettant de répondre à des besoins singuliers, pour des temps singuliers. Le dénouement de l’occupation de la Marquise fait, au contraire, entendre qu’il n’y a pas d’issue. Parce qu’on ne cesse de donner au droit au logement le sens d’une revendication de ceux qui n’ont rien contre ceux qui ont tout, cette impasse est collective. Outrepassant les intérêts particuliers de chaque camp, l’enjeu crucial s’avère l’invention d’une ville hospitalière pour tous, pour l’intérêt de tous, pour ce qu’en d’autres termes l’on a coutume de nommer la République.